Les Echos – Marie-Josée Cougard
La guerre et l’inflation ont freiné les ventes d’alcool en 2022 en France. Pas celles du whisky. Mais l’Inde a ravi à l’Hexagone sa position historique de premier consommateur mondial de scotch.
L’effet Covid est passé. Après une forte embellie liée au confinement, les ventes d’alcool ont retrouvé leur niveau de 2019. Elles ont baissé de 5 % pour la deuxième année consécutive en GMS (grandes et moyennes surfaces) tandis que l’activité en CHR (cafés, hôtels et restaurants) a bondi de 50 % en 2022, indique Nielsen. Dans cet environnement, le whisky tire bien son pingle du jeu avec un chiffre d’affaires global de trois milliards d’euros en hausse de 6,6 % par rapport à 2019, malgré le recul des ventes en grande distribution (-7 %). Il demeure le grand favori des Français, avec 43 % du chiffre d’affaires total des enseignes de la distribution.
Le marché vit des évolutions notables. La France a perdu cette année sa position historique de premier consommateur de scotch whisky, la catégorie dominante, au profit de l’Inde, qui a hérité son goût pour cet alcool de la colonisation britannique.
Toutes les catégories sociales en sont des adeptes, sachant qu’il y en a pour tous les budgets, y compris les plus modestes. Les Français sont encore largement des consommateurs de moyenne gamme. Des « blends » au prix moyen de 20 euros la bouteille. Une qualité qui représente 80 % des ventes hexagonales. Mais le marché bouge selon des axes multiples. «Les amateurs ont rajeuni. On a sauté une génération. On voit émerger une clientèle de 23 à 27 ans, dont les grands-pères en buvaient », explique Thierry Benitah, le patron de la Maison du whisky, dont le chiffre d’affaires a été multiplié par 100 en vingt-six ans, passant de 1,5 million d’euros à 157 millions d’euros en 2022.
Les ventes sur Amazon ont fait un bond considérable pendant le Covid. « C’est incontestablement un nouveau canal de distribution. Beaucoup plus développé au Royaume-Uni et en Allemagne, mais la France s’y est mise pendant la pandémie », dit Thierry Benitah. L’activité sur Internet a gagné 10 points depuis 2019. Toutes les tranches d’âge sont concernées. « Les cavistes ont doublé voire triplé leurs commandes. » La progression était encore de 7 % en 2022.
En 2023, le marché est retombé sous l’effet de la guerre et de l’inflation. « On sent le ralentissement hors Asie, qui fait un retour très fort », ajoute Thierry Benitah. On voit se dessiner une tendance haut de gamme, voire très haut de gamme. « Aujourd’hui il se crée des whiskies destinés à être d’emblée mis sur le marché à des prix extrêmement élevés de 200.000 à 300.000 euros la bouteille. Certaines ne seront probablement jamais ouvertes », dit encore Thierry Benitah.
Des niches de luxe
Il y a autour du whisky un esprit de collectionneur et un intérêt pour des flacons d’exception dans lesquels « on investit comme on le ferait dans un tableau en achetant des bouteilles qu’on n’a pas forcément l’intention d’ouvrir. C’est un placement, un objet de fierté aussi », explique Thierry Benitah. « Jusqu’à présent, les Français n’investissaient pas dans des bouteilles d’alcool comme ils peuvent le faire dans des objets d’art. C’était réservé aux Britanniques et à l’Europe du Nord. On sent aujourd’hui en France que le marché de l’ultra-rareté commence à se développer ».
Explosion des distilleries
Parallèlement à ces catégories d’exception, on assiste à une explosion des distilleries de whisky. La France en compte près de 120 alors qu’il n’y en avait qu’une seule en 1995. « Il s’en ouvre pratiquement toutes les semaines. Il est probable qu’il y en ait 200 d’ici cinq ans », prédit Thierry Benitah. Une distillerie ne demande pas beaucoup de capitaux et les produits locaux se vendent bien.
De nombreux producteurs de cognac ont lancé leur whisky, parmi lesquelles Boinaud, Vinet Delpech, Merlet, Fontagard, Tessendier… « Cela étant, et malgré l’explosion des distilleries, les whiskies artisanaux ne sont encore qu’une niche, par rapport aux whiskies japonais ou écossais».