Si vous flânez sur les marchés, vous voyez resurgir depuis quelques temps des légumes anciens, longtemps oubliés, couleurs peu flatteuses, formes incongrues, aspect rustique, gardant la mémoire de tout ce que la terre peut produire, panais, courges spaghetti, topinambours, navets boule d’or, rutabagas et autre pâtisson panaché… (malgré tout, certains, associés à des périodes de notre histoire ne gardaient pas une bonne réputation !). Mais ils échappent à la standardisation de l’aspect et du goût, et disons le, cela nous fait du bien ! Transmettre aussi dans le temps ce qui a mis tant de temps à éclore et dont le souvenir est en nous, n’est pas inutile… pensons à nos enfants.
Dans le très beau roman de Guiseppe Tomasi Di Lampedusa « le Guépard » Une des phrases les plus célèbres reste attachée au neveu du prince Salina, Tancredi. Elle reflète, dans sa pensée comme dans celle du prince, l’aboutissement de toute révolution : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change ». Alors acceptons le changement pour que le meilleur des traditions persiste.
S’il est un domaine de la consommation ou les révolutions se sont succédées, c’est bien celui du whisky. Au fil du temps, la distillation est devenue moins artisanale, la bouteille de verre est apparue, les blended whiskies ont donné du style et de la stabilité, les assemblages de la complexité, puis les grands majors ont succédé aux ingénieux épiciers d’Edimbourg ou d’Aberdeen, le maltage traditionnel est devenu confidentiel, la mondialisation a comme ailleurs fait son chemin, les single malts furent redécouverts, les finitions élaborées puis sophistiquées, les bruts de fût recherchés et adulés, maintenant les whiskies « no age » succèdent aux millésimes, et les « cuvées du patron » (« distiller’s sélection », en anglais…) aux fûts d’exception. Plus de choix, moins de transparence, mais, soyons objectifs, pas sans qualités.
Maintenant de courageux pionniers, parfois des aventuriers du risque, Celtes souvent, mais pas toujours, redécouvrent en Écosse mais aussi en France (plus de 40 distilleries à ce jour) et dans d’autres contrées les vertus du malt bio, les petits alambics, les petites distilleries, le nécessaire passage du temps.
Combien de distilleries disparues, effacées de la mémoire, parfois un nom subsiste, le lieu a disparu. Mais voyez comme d’autres fleurissent à droite et à gauche, innovent tout en préservant ce que la tradition a de meilleur et d’indispensable. Fermenter un « jus sucré », distiller cette « bière », assimiler dans le temps les composés organoleptiques du « fût ».
De la chimie direz-vous? Mais il faut beaucoup de savoir-faire et un peu de génie pour créer l’émotion dans notre drôle de « dram ».
Slainte, Gérard Trentesaux