Je reviens du vingt-sixième voyage du Clan qui a eu lieu cette année dans le Nord de l’Ecosse, les yeux encore tout éblouis par les magnifiques paysages et les papilles toujours en émoi causé par les très beaux whiskies que nous y avons dégusté. Non seulement ces voyages permettent de découvrir le monde du Whisky par la lorgnette des distilleries et de fixer dans nos mémoires les subtilités de sa fabrication mais ils me permettent aussi d’associer des décors (naturels ou bâtis par l’homme) au souvenir des produits que j’ai dégustés et à ceux qu’il me reste à découvrir.
Comment détacher le coté marin, parfois salé d’un Lagavullin, de l’image du ponton en bois donnant sur la mer situé derrière les chais de la distillerie, ou le caractère parfois fougueux de certains Glengoyne du souvenir de cette petite cascade joyeuse qui chute derrière les bâtiments. Un autre whisky marin et presque iodé, Talisker, ne nous ramènerait-il pas au sommet des falaises abruptes de l’île de Skye, battu par les vents ?
Parfois, c’est une bonne chose, surtout lorsqu ’il s’agit de bons souvenirs : La dégustation très intéressante qui nous a été proposée cette année chez Edradour, restera indissociable pour moi de cette jolie petite distillerie nichée dans une vallée verdoyante. Le caractère bien senti d’un Ardbeg dans mon verre, et j’entends encore les anges (ceux qui se réservent souvent une part léonine des meilleurs whiskies) m’inviter à entrer dans le Chai n° 3 dans lequel nous pouvions, il y a quelques années déguster des alcools puisés directement dans les fûts.
La complexité et la diversité des whiskies d’Highland Park s’associent pleinement avec la diversité des paysages côtiers que nous longeons quand on arrive par bateau aux Orcades, ses falaises abruptes et découpées alternant avec des bancs de sable et de grandes prairies à peine plus élevées que le niveau de la mer.
Parfois et c’est probablement dommage : un accueil décevant peut nuire à une dégustation (sous la forme d’a priori gravé en nous). J’avais un excellent souvenir d’un X (je préfère taire le nom de compte tenu de la suite), embouteillage Cadenheads’ datant d’une bonne douzaine d’année. Comment aujourd’hui pourrais-je ne pas me rappeler le « tasting » calamiteux qui a suivi la visite de cette distillerie : nous étions debout et un peu tassés les uns sur les autres au milieu d’un brouhaha de touristes (vous avouerez qu’il existe de meilleures conditions) et on nous a proposé les trois whiskies réduits de la gamme commerciale du moment, servis dans des flûtes (oui, de vraies flûtes à champagne !), dont les saveurs étaient très loin du magnifique breuvage resté dans ma mémoire.
Mais je me souviens aussi de plusieurs distilleries, d’aspect extérieur assez médiocre (couleurs sombres ou/et architecture affreuse) que j’ai eu le malheur de visiter sous la pluie (histoire de parfaire le décor), et qui pourtant produisent des whiskies dignes de nos meilleures réserves.
C’est pourquoi, je crois que même si notre mémoire visuelle, olfactive ou simplement des circonstances d’une précédente dégustation, ne manque pas de nous influencer chaque fois que l’on découvre un nouveau whisky, nous devons malgré tout nous garder de laisser ces souvenirs prendre le pas sur la découverte. Il faut tenter de rester neutre, oserai-je dire
« mémoire vierge » pour laisser notre nez et notre palais appréhender pleinement les arômes, la puissance ou la finesse, et toutes les autres caractéristiques du produit lui-même.
Je vous souhaite de belles dégustations et je vous incite à visiter l’Ecosse, ses distilleries, mais aussi ses châteaux et ses paysages magnifiques, sans oublier l’accueil chaleureux des Ecossais.
Sláinte !