Par Gérard TRENTESAUX
Christine Lambert est une journaliste qui n’a pas sa plume dans sa poche, et décode pour les amateurs de whiskies une actualité parfois surprenante. A propos de Dave BROOM qui à récemment publié Le manuel du whisky… et tous les cocktails, elle ose :
De temps en temps, au milieu des beaux livres sur les spiritueux, nous arrivent quelques pépites de papier ambitieuses, de celles qu’on ne laissera pas prendre la poussière sur la table basse du salon.
Et, en matière de pépites, Dave Broom est une mine à lui seul. Après son Atlas mondial du whisky, dont on attend avec impatience que Flammarion nous traduise la version augmentée, cet infatigable arpenteur a ciselé et poli un Manuel du whisky d’un genre inédit :
Dans la littérature consacrée au whisky, la seule chose qui n’existait pas était un livre qui parlait de la façon de le boire et, plus important encore, d’y prendre du plaisir, explique le Glasgowien. Or, à chaque fois que le whisky a été populaire dans l’histoire, il était mélangé à autre chose, allongé, aromatisé, etc…
Je me suis dit que ce pourrait être amusant, irrévérencieux, intéressant – et éventuellement utile – de s’y atteler !
Dave Broom est un hérétique qui prend plaisir à souffler sur les braises qui allument son bûcher. Tout le propos de son bouquin consiste donc à faire sauter les mythes qui encadrent la dégustation du whisky, et le premier d’entre eux: croix de bois, croix de fer, il faut le savourer sec, pur, sans une goutte d’eau mais avec une grimace sous peine de brûler en enfer ».
Pour Dave, un seul commandement : « Du plaisir tu prendras ». Il ajoute :
Le fait est que le whisky est une boisson complexe… mais ce n’est qu’une boisson, dédramatise l’impie évangélisateur. En quoi ajouter d’autres ingrédients à un single malt poserait-il un problème? Quel distillateur jette l’anathème: « Tu n’altéreras point ? » Aucun !
Aux racines du whisky
Le Manuel nous fait remonter donc aux racines du whisky, au temps où sa rusticité encourageait l’édulcoration, au temps où on l’appréciait aussi pour sa versatilité, son aptitude à se mélanger, se métisser. Jusqu’a la fin des seventies, le whisky n’est quasiment jamais dégusté pur. L’avènement des single malts à cette époque inventera un nouveau récit de pureté, où le whisky se vit comme l’eau bénite.
La partie la plus novatrice du Manuel explore les champs aromatiques du whisky et donne les clés pour le mixer. Plus d’une centaine de bouteilles ont été revisitées allongées d’eau gazeuse, de ginger ale, d’eau de noix de coco, de thé vert, voire de coca. Et, entre nous, le pèlerin qui se livre à de telles expériences, jour après jour dans sa cuisine, mérite nos prières. « La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un coeur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux », se marre Broom en citant Camus.
Christine Lambert poursuit l’exploration de la pensée du joyeux iconoclaste :
[…] certaines alliances métamorphosent le whisky en ambroisie, s’emparant de sa personnalité pour mieux l’exalter. On découvre que les whiskies fumés apprécient le croquant et la salinité de d’eau gazeuse. Que le ginger ale se frotte volontiers aux whiskies subtilement épicés et rallonge la finale de n’importe quel malt un peu court en bouche. Que les notes florales du thé vert forment un bouquet champêtre avec celles des whiskies herbacés.
L’eau de coco s’emboîte aux blends écossais à condition qu’ils soient charpentés, trop légers, le mix tourne à la soupe miso (ajoutez des algues wakame, tout n’est pas perdu) mais déglingue les bourbons et les ryes. Enfin, ne rêvons pas, le whisky améliore le Coca plutôt que l’inverse. Quoique… tentez le Rob Roy au Lagavulin 16 ans, provoque le renégat, et vous verrez qu’il se dépêtre aussi bien du cola que le Jack (je vous vois vous signer derrière l’écran).
Pour Dave, un seul commandement : « Du plaisir, tu prendras »
Tout est question d’équilibre sur le fil des saveurs, répète Dave Broom. Toute recette de cocktail doit s’adapter au type de whisky, voire à sa marque, puisque les qualités organoleptiques de chacune varient. Indiquer « whisky » dans une recette revient à dire que ce plat doit être servi avec du vin. De fait, vous ne boirez plus un Manhattan de la même façon après avoir lu ces variations sur un même j’aime, qui adaptent les proportions de vermouth à la distillerie. Il y a encore cinq ans, ce livre aurait sans doute valu à son auteur excommunication de la chapelle du malt, ou douloureuse séance d’exorcisme. « L’idée même de mettre de l’eau dans un single malt m’aurait valu d’être jeté hors du temple », sourit l’agitateur.Mais n’est-ce pas le propre des hérétiques de découvrir avant les autres que… la Terre est ronde ? ».
Voilà qui fait plaisir à lire et à entendre et renvoi à leurs chapelles tous les ayatollahs de la dégustation, alors bonnes expériences !