Boris Vian, dans son roman l’Ecume des jours, décrit un curieux appareil inventé par Colin l’un des protagonistes, le pianocktail. A chaque note sur le clavier correspond une liqueur, une eau de vie ou un aromate, pouvant par le rythme imposé, faire varier le degré d’alcool et le volume. Mais une erreur sur la pédale forte et l’œuf battu se transforme en omelette ! Colin avait créé une passerelle entre le son et le goût, entre la technique et les sens.
Quel chimiste, amateur ou spécialiste, n’a pas rêvé à partir d’un clavier d’ordinateur de recréer à l’identique le fabuleux nectar qui aura séjourné de nombreuses années dans la pénombre des chais avant son embouteillage. Sans doute, mais à quel prix ! Ce procédé existe déjà pour la fabrication de la plupart des parfums. Une grande partie de la composition d’un parfum est constituée par des molécules de synthèse qui reproduisent le ‘’jus’’ élaboré par celui que l’on appelle un ‘’nez’’. Certains appareils sont capables de « sentir » un bouquet, d’analyser chaque odeur et de les recréer artificiellement. Le n° 5 de Chanel est par exemple, un mélange d’ ‘’absolue’’ d’ylang-ylang et de différents aldéïdes.
Le whisky contenu dans notre verre est le résultat d’une étrange alchimie qui s’opère depuis l’élaboration jusqu’en fin de maturation. Pendant ce vieillissement, chaque période temps va apporter au ‘’new spirit’’ une évolution aromatique, par les différents apports du contenu et du contenant, par le bois et le liquide qu’il a le plus souvent hébergé pendant sa première vie.
Petit à petit, l’élaboration, puis le vieillissement apporteront des groupes d’arômes le plus souvent identifiables, depuis ceux rappelant les céréales, les esters dans la palette allant des agrumes aux fruits cuits, les arômes floraux et végétaux, n’oublions pas la tourbe, ceux venant du bois, les arômes soufrés et les arômes vineux. Chacun de ces intitulés correspondant à des substances chimiques bien définies. Des composés organo-azotés qui évoquent les céréales, des phénols donnent cette note médicinale ou fumée, parfois terreuse que nous appelons tourbée, les acétates d’éthyle ou d’iso-amyle et d’autres esters seront assimilés aux agrumes, aux fruits secs ou aux fruits cuits, le phényl éthanol ou l’acétaldéhyde pour les notes herbacées ou florales, et ainsi de suite…
Chaque arôme, chaque goût pourrait être strictement identifié à partir de sa molécule, puis évalué en PPM (partie par million) ou encore en milligramme par litre de liquide, ce qui se fait déjà pour la tourbe, le tout dilué dans l’éthanol, pour être ensuite la copie conforme du produit original !! Rêve ou cauchemar où disparait la main de l’homme.
Et nous qui décrivons le plus souvent d’une façon poétique et subjective nos impressions olfactives et gustatives, souhaitons sans doute garder pour nos breuvages, une part de mystère pour que la magie opère.
Slainte
Gérard TRENTESAUX